Le bricolage comme levier d’innovation et de résilience avec Raffi Duymedjian
Nous vivons une phase de bricolage social, une occasion de nous réinventer
Ecoutons Raffi Duymedjian, enseignant-chercheur à Grenoble École de Management.
Lien vers le podcast : https://www.podcastics.com/manager/podcast/6866/episode/330001/
Ecoutons Raffi Dumedjian, enseignant-chercheur à Grenoble École de Management, dans un département qui s'appelle « Hommes, organisations et sociétés », qui regroupe les cours de management, de ressources humaines, de géopolitique, d'économie, etc.
Il fait partie d'une chaire pour une culture de paix économique (Chaire UNESCO), qu'il a contribué à créer il y a maintenant plus d'une dizaine d'années.
Synthèse de son propos :
Introduction au bricolage : origine et définition
Origine anthropologique :
Le bricolage, concept emprunté à Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage, désigne une approche où l'on utilise des moyens disponibles pour créer ou résoudre des problèmes.
Lévi-Strauss compare l’ingénieur, qui suit une planification rationnelle, au bricoleur, qui ajuste ses moyens à disposition pour atteindre ses objectifs.
Perception culturelle :
Dans la culture francophone, le bricolage évoque souvent une image amateuriste (ex. Gaston Lagaffe). À l'inverse, dans d'autres cultures (comme les États-Unis), il est valorisé pour son ingéniosité (ex. MacGyver).
Bricolage en sciences de gestion
Adoption comme concept :
Intégré dans les années 1990 dans les sciences de gestion, le bricolage s’applique dans divers champs : innovation, systèmes d’information, entrepreneuriat, et organisation.
Il met en avant des solutions adaptatives face aux contraintes organisationnelles et révèle souvent des dysfonctionnements ou des opportunités.
Exemples d’application :
Industriel : Utilisation de pièces inutilisées pour modifier des machines et améliorer les conditions de travail.
Innovation technologique : Création du supercalculateur « Condor » avec 1 760 PlayStation 3 par le département américain de la Défense, une solution efficace et dix fois moins coûteuse que les alternatives classiques.
Service : Réglages improvisés pour améliorer la productivité ou le confort des employés, comme l'ajout de cales pour stabiliser des machines.
Le bricolage comme lecture des organisations
Symptôme et opportunité :
Le bricolage peut révéler des manques de communication (ex. absence de dialogue entre utilisateurs et services informatiques) ou des approches frugales, où les employés s’adaptent avec ce qu’ils ont.
Tensions dans les entreprises :
Certaines organisations valorisent le bricolage pour son potentiel d'innovation (ex. constructeur automobile intégrant des idées d’ouvriers dans le prototypage).
D'autres rejettent le bricolage, le percevant comme une menace pour la normalisation et la qualité.
Exemple concret :
Un ouvrier modifiant une machine industrielle pour améliorer sa productivité peut être félicité par un directeur de production et critiqué par un directeur qualité, révélant des visions divergentes sur l'innovation.
Dimension créative du bricolage
Innovation par détournement :
Le bricolage illustre la créativité à travers l’usage inattendu ou détourné d’objets. Par exemple, un joystick Xbox utilisé pour contrôler des sous-marins dans la Navy américaine.
Dialogue entre règles et improvisation :
Le bricolage repose sur une connaissance suffisante des règles et des normes pour les détourner. Il s’oppose à une pensée binaire (respecter ou rejeter les normes) et valorise une approche exploratoire où les règles deviennent des outils.
Le bricolage dans la société contemporaine
Dimension monstrueuse :
Les bricolages peuvent être perçus comme monstrueux, car ils mélangent des éléments hétéroclites (ex. Frankenstein). Ces créations suscitent des réactions variées : fascination, rejet, ou tentative de contrôle.
Apprivoisement plutôt que contrôle :
Plutôt que de chercher à exploiter ou standardiser les bricolages, l’idée est d’accepter leur singularité, comme un renard apprivoisé dans Le Petit Prince. Cela invite à une cohabitation respectueuse.
Impact sur le rapport aux objets :
En donnant de nouveaux usages aux objets, le bricolage augmente leur valeur et leur dignité, en opposition à une culture de consommation qui les appauvrit en les limitant à une fonction unique.
Conclusion : vers une co-création collective
Dialogue et collaboration :
Le bricolage appelle à une interaction entre différents profils (experts, novices, créatifs) pour tester et enrichir les idées.
Il favorise la pluralité des perspectives et la coopération entre ingénieurs et bricoleurs pour créer des solutions innovantes et durables.
Valeurs sous-jacentes :
Le bricolage dépasse l’opposition entre normes et innovation. Il valorise l’altérité, la créativité, et le respect des ressources disponibles, en lien avec des enjeux comme la paix économique ou la durabilité.
Cette analyse met en lumière le rôle central du bricolage dans l'innovation, l’adaptation, et la transformation des organisations et de la société, en valorisant des approches flexibles et collaboratives pour faire face à un monde en mutation.