Le choc des ombres, le choc des Titans
Nous entrons dans une étape de notre humanité qui évoque le choc des Titans (Christine Marsan)
Cet article sera régulièrement amendé.
Tableau Jacob Jordaens
Pré-requis :
Pour comprendre le propos de cet article, il est nécessaire de lire le précédent qui donne les bases de la Spirale Dynamique, comme référentiel de mon propos.
https://christinemarsan.substack.com/p/la-spirale-dynamique-un-modele-pour?r=7avo9
Résumé :
Face à l’incompréhension du monde qui semble se déliter nous assistons au choc des valeurs et à celui des ombres de nos différents niveaux d’existence.
Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade. Jiddu Krishnamurti
Contexte :
Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas ce que nous vivons, la raison pour laquelle nous délaissons les priorités vitales de notre planète, comment nous avons pu nous cliver à ce point, voir les guerres continuer à prendre de l’ampleur, les extrêmes dicter le paysage démocratique. Face à la complexité du monde, à l’enchevêtrement des évènements comme à la vitesse de changement des situations, nombreux sont ceux qui cherchent à réduire, simplifier, juste pour réussir à appréhender le monde dans lequel ils vivent.
Certains démunis, lâchent et sombrent dans l’angoisse ou la dépression, parfois même préférant la mort à un futur qu’ils voient sans avenir. La majorité s’engouffre dans les simplifications et les réductionnismes et donnent leurs voix au complotisme, au populisme, limitant leurs connaissances aux vidéos TikTok pour les plus jeunes, Instagram pour d’autres. Manipulés par les réseaux sociaux et les algorithmes les régressions sont massives et expliquent l’encouragement pour les communautarismes, « on se sent rassuré dans l’entre-soi ».
Chacun est ainsi enfermé dans sa bulle émotionnelle et cognitive et fuit ou délaisse la complexité du monde à une poignée qui l’ordonnance selon ses intérêts.
Les ombres se percutent
Faire référence à la Spirale Dynamique c’est tenter de comprendre les chocs de paradigmes coexistant actuellement et saisir l’évolution de la conscience humaine. On peut alors mieux appréhender comment chacun gère la complexité du monde en fonction de ses ressources psychologiques d’adaptation (à la fois cognitives et affectives) et aussi le système de valeurs issu de la culture à laquelle il appartient ou à laquelle il se réfère. Parfois, la multi-appartenance conduit à des conflits intrapsychiques qui mettent le sujet sous tension qu’il peut retourner contre lui et cela participe aux burn-out ou qu’il reporte à l’extérieur et explique, en partie, les violences sociales.
Répartition des niveaux d’existence en 10 ans
Extrait C. Marsan, Délicate Transition, publié 2017 (rédigé entre 2015 et 2016)().
Version Janvier 2025
En presque 10 ans les niveaux d’existence n’ont plus la même répartition et nous allons tenter de dire pourquoi.
Les effets de balancier de l’histoire
Qu’avons-nous manqué ? Que s’est-il passé ?
Prenons une clé d’entrée – évidemment propos non exhaustif - pour tenter de comprendre ce qui se joue aujourd’hui.
A vouloir réparer les excès de la domination masculine ou du colonialisme (impulsion du Vert sain) dont incontestablement les excès ont été nocifs aussi bien pour les peuples que pour une grande partie de la population les femmes en premier lieu et les hommes également qui, s’ils ne veulent pas tomber dans le masculinisme, l’effet de balancier qui conduit à un effet inverse (du féminisme au masculinisme), revisite la masculinité. Les positions féministes excessives ou LGBT+ devenant une nouvelle norme réveillent le pire du masculinisme et les ombres du Bleu (valeurs religieuses, familiales et structurantes qui se réaffirment fortement).
Le wokisme initial s’est fait déborder et devient tyrannique et excluant à son tour. Né d’un élan Vert, il reprend les ombres du Rouge : d’engagé il devient militant et par conséquent agressif et virulent.
Nous vivons aujourd’hui la confrontation des ombres de tous les niveaux d’existence, les valeurs de chacun se percutent avec celles des autres et au lieu de réussir à co-exister nous nous co-excluons. Pour comprendre ce qui se passe nous allons débuter par le niveau d’existence dominant sur la planète.
Les ombres des niveaux d’existence
Partons du niveau de conditions d’existence Orange.
Pour rappel les caractéristiques principales positives d’Orange :
Pour rappel les caractéristiques principales positives d’Orange :
Le monde est plein de ressources et d’occasions de se créer une vie meilleure.
La science et la raison ont pris le pas sur la morale : importance du savoir, de la logique, de la démonstration, de l’expérimentation. L’univers est une machine qui suit des lois indentifiables, on sort des superstitions et de la Foi. On peut agir sur le monde et les choses à condition de connaître leur fonctionnement.
L’individu est motivé par ses intérêts personnels. C’est l’apogée de l’individualisme et de la compétition. Importance du fonctionnel, de l’efficacité, de l’optimisation.
L’être humain assure sa réussite personnelle matérielle en saisissant les opportunités pour ses projets individuels. La position sociale dépend de la réussite individuelle visible.
La structuration sociale se caractérise par de grandes entreprises qui régissent le monde, l’économique, puis le financier prennent le pas sur la politique. Le capitalisme devient le modèle dominant et universel.
La pensée est pragmatique et positive.
Les valeurs sont : science, raison, matérialisme, positivisme, individualisme, efficacité, réussite matérielle.
Les ombres de l’Orange :
Refuser la condition limitée de l’être humain et plus largement de la Terre et de la biodiversité, conduit, en se séparant de notre appartenance au vivant, à des comportements de prédation. Ce qui se traduit par prélever toutes les ressources, sans limites, et mettre en danger l’écosystème Terre.
C’est aussi passer du capitalisme au libéralisme débridé où seuls le marché et le profit dictent les lois. Ce qui a conduit récemment à « prendre » les idées des Verts vécues comme un nouveau business profitable et tordre alors l’élan de transformation sociétale. Ce qui participe à la « transition washing » et a décrédibilisé les efforts pour sortir des effets négatifs des excès d’Orange. Ce qui faisait dire à Luc Boltanski que le capitalisme absorbe même ses critiques[1] non pas pour se remettre en question mais pour poursuivre ses objectifs.
Les règles et les lois (expressions du « Bleu » sain) sont également « tordues » pour faciliter l’exercice du profit. C’est ainsi que les institutions internationales, censées contenir les dérapages politiques des pays ou de leurs gouvernants perdent progressivement tout pouvoir. L’influence d’une gouvernance mondiale basée sur les Droits de l’Homme[1] passe dans les mains de quelques milliardaires dont certains privilégient un gain individuel immédiat sur le bien commun à garantir dans le court, moyen et long terme.
Par ailleurs, la culture du narcissisme[2] est devenue omniprésente sur la planète et a fait évoluer les comportements de l’intime vers l’extime[3], les réseaux sociaux incitant à se raconter à longueur de journée. Ainsi, notre narcissisme archaïque est-il renforcé et conduit à devenir la norme, balayant toute empathie et conscience du commun.
Lorsque le narcissisme devient pathologique[4], le culte de soi prime et le rapport à autrui devient immature, l’autre n’est pas reconnu comme sujet, mais comme « objet » permettant de se valoriser soi-même et de satisfaire ses besoins.
S’il n’y a plus de garants sociaux (apports du Bleu sain[2]) pour contenir les pulsions dont fait partie la pensée narcissique de l’enfant, alors cela devient la norme et les expansions humaines[3] n’ont plus de limite.
Ainsi, pour satisfaire les rêves de grandeur d’Orange c’est le niveau Rouge qui est mobilisé, outrepassant les effets structurants du Bleu, perçu comme trop rigide.
Enfin, l’écart croissant entre les plus riches et les plus pauvres a creusé des inégalités qui font revenir la survie (Beige), l’insécurité sur le devant de la scène. Le nombre de guerres sur la planète ravivent les brutalités des ombres du Rouge et la violence sur des populations stables (Islamisme radical). Ceci mu par des spéculations économiques (ombres de l’Orange) qui n’hésitent pas à déstabiliser des pays (Irak, Iran, Lybie, Syrie … ou plusieurs pays d’Afrique) pour obtenir des ressources (pétrole ou en ventes d’armes).
Pourquoi n’avons-nous pas réussi ?
Nous percevons que nous étions à un tournant de l’Histoire et une bifurcation majeure a eu raison de l’évolution progressiste vers laquelle nous tendions. Que s’est-il passé ?
Cela nous conduit à mentionner les ombres du Vert.
Rappelons tout d’abord les qualités du Vert :
Le vert se représente le monde comme l’habitat commun de toute l’humanité (sensibilité écologique). Ce qui correspond à la prise de conscience des limites de notre planète et de l’empreinte écologique de nos prédations et consommations excessives.
Toutes les cultures se valent, la diversité est respectée et mise en avant.
L’être humain trouve l’amour, la paix et le sens de la vie par l’appartenance, l’égalité et le partage dans la communauté. Les comportements de paix, de non-violence et d’assertivité sont valorisés.
Les prises de décision sont faites par consensus, chacun exprime son ressenti. Vert expérimente différentes formes de gouvernance, inspirées des peuples premiers.
Toute hiérarchie, tout cadre, toute centralisation sont vécus comme une dominance insupportable. Les verts font preuve de militantisme affectif.
La structuration sociale passe par de petites communautés (Eco-lieux, Tiers-Lieux) ou des équipes à taille humaine.
La pensée est relativiste et subjective. Primat de « c’est ce que je pense et que je ressens ».
Les valeurs sont : sociocentrisme, communauté, communication non violente.
Examinons à présent les ombres du Vert :
A critique, critique et demi
Les critiques frontales menées contre les ombres de l’Orange sans réussir à apporter de solutions désirables, sans tenir compte de la diversité des valeurs et des besoins, privilégiant un seul modèle « Demain[5] » qui a été vécu comme confrontant et a de ce fait été rejeté par nombre d’Orange, Bleu et Rouge. Ce qui constitue la majorité des référentiels de valeurs mondiales.
Il fallait certes des pionniers tel Pierre Rabhi ou Patrick Viveret pour pousser d’autres voies et le courage et l’audace d’oser tester autre chose. Toutefois, c’est dans la manière d’opérer que les ombres du Vert se sont manifestées.
Par ailleurs, la mise en exergue de l’effondrement/ collapsologie[6] fait peur, cela dégoûte certains et cela n’embarque pas la majorité des personnes installées dans l’individualisme Orange à agir, car cela ne donne pas envie.
Changer de comportement est vécu comme contraignant
L’utilisation des normes scientifiques Bleu/Orange trop rigides, contraignantes (type Shift project ou les rapports du GIEC) qui agissent sur les peurs ont perdu de vue les moteurs motivationnels du désir, de l’envie, de la joie. Ces restrictions sont alors perçues comme des contraintes et rejetées par ceux qui privilégient un hédonisme à court-terme.
Rejetant l’argent, c’est la porte ouverte au pillage des innovations
Le rejet du pouvoir et par conséquent du leadership a conduit à un relativisme niant, au profit du collectif, les singularités et les différences. Ce qui a eu pour conséquence la difficulté à prendre des décisions, privilégiant le consensus à tout prix et le temps très long des échanges dans les gouvernances. Cela a rebuté la plupart des acteurs mus par la performance organisationnelle et les réponses rapides, court-terme. Cela a clivé les mondes. Les Verts méprisant l’argent, tout type de cadre normatif vécu comme contraignant et critiquant le « système », celui-ci le leur rend bien en piochant dans leurs innovations (les créations du libre (open) qui constituent les briques numériques (Linux) des GAFAM par exemple et des creative communs, non protégés) tout en rejetant leurs apports et leurs propositions de vie coopérative au service du bien commun.
Utopistes critiques et « molles »
Par ailleurs les Oranges vont reprocher aux Verts d’avoir perdu le sens de la réalité et vivre dans l’utopie aux crochets d’un système qu’ils critiquent.
Enfin, en privilégiant la bienveillance et la non-violence, les Verts ont perdu la force de la combativité propre aux Rouges, ils sont devenus nonchalants (Qualité de vie au travail, Bonheur au travail...) ce qui exacerbe les élans de ceux qui ne voient que la Force et le travail acharné pour obtenir ce qu’ils veulent.
Ainsi, nous avons perdu la Puissance de la singularité du moteur de changement que nous voulions porter. Celle du siècle des Lumières, celles des Droits de l’Homme, celle de l’Humanisme. Les réactions excessives sont aussi bien l’écho des ombres Vertes (militants écologistes virulents) que Rouges (régression brutale). La place est libre pour que la Force Brute s’installe comme modèle dominant. C’est le retour des Empires et des tyrans.
Notons alors une exclusion en miroir. Les ombres du Vert viennent puiser dans les ombres du Rouge et chaque niveau s’exclue mutuellement. D’où la recherche de nouvelles voies pour sortir de l’impasse, quelques-uns explorent le Jaune, encore balbutiant, et d’autres reviennent vers le Rouge qui permet de clarifier les rôles, les genres, de poser des limites et encouragent les conquêtes pour l’exercice du pouvoir et de la reconnaissance immédiats.
Pourquoi le retour du Rouge ?
Une trop grande pluralité de référentiels brouille les cartes par incapacité d’inclusion mature et fait la part belle aux dérapages des extrémistes qui tranchent : les hommes d’un côté, les femmes, de l’autre et c’est tout. Les nuances disparaissent et la domination virulente resurgit, les Talibans en Afghanistan, les Islamistes en Iran. Les mesures prises par les gouvernements conservateurs (Argentine, Etats-Unis, Russie…) réinitient ces clivages archaïques. Les tergiversations démocratiques davantage politiciennes que réellement politiques ont eu raison d’une démocratie devenue molle. Les détracteurs des gouvernances assurant le plus de liberté ne s’y sont pas trompés et attaquent de front les institutions les plus démocratiques.
Alors, la majorité des personnes qui n’ont pas toutes les clés de compréhension de notre monde complexe préfèrent le retour vers des archaïsmes validés par des millénaires d’expérience, à savoir l’arrivée du mâle Alpha et en l’occurrence d’un binôme alpha (Donald Trump, J.D. Vance) qui va pouvoir tenir, certes par la Force, le corps social homogène et clarifier qui sont les amis et les ennemis. Les combats seront plus simples et chacun pourra dormir plus sécurisé !
Sans perspective d’un futur accessible et qui réponde aux désirs d’expansion pathologique de certains Oranges, Elon Musk ou Donald Trump par exemple, sans garde-fous pour endiguer leur folie expansionniste, la voie est libre. Personne n’ayant pu réagir au lancement de Starlink, la communauté scientifique n’ayant pas été écoutée[10], le feu vert d’un entrepreneur Orange audacieux et à fort succès n’étant arrêté par aucune instance d’une gouvernance internationale, alors la voie était grande ouverte vers le no limit. Désormais la course du ciel est ouverte au plus offrant.
Et surtout le pouvoir de l’argent et la pathologie narcissique étant cautionnés il n’y avait plus qu’à en faire un modèle d’expansion politique. Le succès de D. Trump et de E. Musk peut être considéré à la fois comme celui de l’argent et aussi l’utilisation de tous les ressorts du marketing numérique, de la téléréalité comme de l’usage maximal des réseaux sociaux et de leur manipulation algorithmique[11]. Et ça marche. Ce qui les encourage à poursuivre car ce qu’ils ont mis en place les a conduits au pouvoir, alors pourquoi ne pas continuer ?
Ceci d’autant que les gouvernants populistes et exerçant la brutalité « Rouge » sont élus dans un nombre considérable de pays phare de la planète. Nous entrons dans une période Rouge (Brune) et il ne nous reste plus qu’à co-construire l’après, avec discernement et en tenant compte des leçons de notre histoire.
Des ombres du Rouge aux talents :
Les ombres du rouge sont bien connues, barbarie, violence, force brute mais nous avons tendance à occulter ses qualités.
Aujourd’hui, il nous faut la force de la résilience. Peut-être est-elle aussi à puiser dans les ressources positives des premiers niveaux d’existence qui nous constituent.
Idéalement, il nous faudrait combiner la Force de vie, l’audace du Rouge, sa détermination et son charisme avec les valeurs Vertes au service du Commun et par conséquent co-créer un niveau Jaune puissant et pas uniquement basé sur le collectivisme/communautarisme Vert.
Nous ne sommes pas encore murs pour un fonctionnement organique, mature qui produit des fruits. Réapproprions-nous les forces de chacun des niveaux, osons faire face aux ombres de chacun à titre individuel et collectif et alors nous pourrons dispenser les qualités et les compétences nécessaires aux transformations de notre monde.
Soyons lucides, nous allons co-créer, telles les racines de bambou, le monde d’après en mode souterrain et laissant la déferlante des barbaries passer et s’essouffler. La sidération, l’angoisse et la dépression ne sont pas utiles, il faut des personnes Debout, lucides, responsables, audacieuces et courageuses pour co-construire la suite. Certains seront dans l’affrontement et d’autres expérimenterons les bases solides de l’après.
Comment faire ?
Tout d’abord, il faut bien faire prendre conscience de la situation pour réussir à changer. L’élection Trump/Musk crée le coup de fouet nécessaire pour nous obliger à bouger dans le « bon » sens. Qu’est-ce que cela veut dire ? Décider de changer déjà en nous-même, nous réconcilier avec chaque niveau d’existence, reconnaître nos lumières et nos ombres. Puis, sortir de l’arrogance de nos convictions et décider de dialoguer pour nous comprendre au travers de nos différences fondamentales.
Ensuite, tisser ensemble un cadre partagé, réaliste et inclusif pour proposer des étapes claires et donner l’envie de co-construire.
Et là nous touchons sans doute une ombre du Jaune.
Une précaution préliminaire : les niveaux Vert, Jaune et a fortiori Turquoise sont jeunes et co-émergents, par conséquent cela entraîne des confusions car les niveaux ne sont pas stabilisés.
Rappelons-nous que Jaune a pour caractéristiques :
Jaune voit le monde comme un ensemble de systèmes complexes marqué par le changement et l'incertitude.
L'être humain se vit interdépendant et interconnecté. Il recherche l’intégration des points de vue. Il fait la distinction entre différents types de hiérarchies, et privilégie les compétences et les fonctionnalités. Les notions d'équité et d’équivalence priment sur celle d'égalité.
La prise en compte de l'autre est importante même s'il pense différemment. Le mouvement et la flexibilité sont perçus comme la manifestation des flux de la vie.
Les ombres de Jaune :
Une ombre du Jaune pourrait être de ne pas être très clair avec la frontière entre Vert et Jaune (c’est la confusion du modèle Opale de Ken Wilber repris par Frédéric Laloux[1]). A quoi cette précision sert-elle ? Lorsque nous cherchons à changer individuellement ou collectivement, il peut être intéressant de connaître les talents et les ressources de chaque niveau comme de ses ombres. Si tout est mélangé, cela ne permet pas d’asseoir ni une connaissance ni des savoir-faire et savoir-être spécifiques et cumulables. Et bien entendu, encore plus difficilement de saisir les ombres de chaque niveau et par conséquent de pouvoir les gérer.
Ainsi, la deuxième ombre que je voudrais pointer ici est celle de l’aveuglement idéologique. Mus par le souhait de co-construire une humanité meilleure, à la suite de l’élan Vert, le risque est de nier la réalité. Refuser tout ce qui peut émerger des niveaux précédents (comme le retour du Rouge sous la forme de l’élection Trump/Musk et/ou les narcotrafiquants qui prennent le pouvoir dans nos institutions (Pays-Bas, Belgique, France) comme d’autres pays Mexique ou Colombie (5)). Pourtant, le réel frappe à la porte et le Rouge déferle dans nos sociétés car nous ne savons pas endiguer la violence de manière lucide et adaptée. Les réponses Vertes (Communication Bienveillante, CNV, éducation à la paix - que je promeus moi-même -) sont précieuses, toutefois, il leur faut la force qui a animé leurs créateurs comme Marshal Rosenberg, qui ayant connu la violence, pouvait manifester du Vert ancré sur un Rouge ferme, solide. Connaissant les ombres, il utilisait la Puissance du Rouge pour soutenir un Vert au service de la non-violence. Aujourd’hui, si le Jaune, par conviction, nie tout ce réel déplaisant et vécu comme “régressif” alors son appréhension systémique sera parcellaire et ne permettra pas de faire face au retour du Rouge. Il ne s’agit pas de sombrer dans la violence, mais d’être conscient que ce que nous refusons, voire nous nions, s’empresse de revenir en force, c’est ce que l’on appelle en psychologie le retour du refoulé.
Le retour du refoulé est un terme psychanalytique inventé par Sigmund Freud. Le retour du refoulé est le retour hors de l'inconscient des contenus psychiques refoulés car inavouables ou inconciliables. Selon Freud il se manifeste à travers le rêve, les actes manqués, les lapsus, comme au travers de symptômes psychopathologiques.
L’humilité du réel : embrasser l’altérité
Le réel nous exhorte à l’humilité d’une vision la plus exhaustive possible, celle qui consiste à embrasser, systématiquement, les ombres et les lumières de chaque niveau aussi bien individuellement et collectivement. Alors, nous pouvons nous ouvrir à une altérité, mature. Accueillir et embrasser le différent.
Il nous faut apprendre à tisser ensemble avec et malgré nos diversités afin que chaque niveau d’existence soit contributif au futur commun, inexorable, que nous élaborons.
Si nous pouvons mettre de l’énergie pour saisir et comprendre les subtilités de chaque niveau d’existence c’est pour co-construire des clés avec chacune et chacun, une fraternité active, c’est d’ailleurs la définition de la paix.
Extrait Choisir la Paix[1] : “L’étymologie nous dit que la paix se définit comme l’absence de guerre. Il s’agit du traité (pax, pacte) qui marque la fin de la guerre. Elle symbolise la recherche d’un accord (de paix) entre belligérants. Sortant de la discorde, elle est alors synonyme de concorde. Ce que Jean-Marie Muller[6] affine en nous rappelant que la paix est un pacte scellé entre deux ou plusieurs adversaires parvenus à un accord. Ainsi la paix se construit, c’est un acte issu de la volonté d’une décision de bâtir la paix à plusieurs.”
Et pour co-construire, il nous faut nous reconnaître, quelles que soient nos convictions, réussir à dialoguer même face à un “ennemi”, baisser la garde de l’arrogance des idéologies et des convictions qui ne permettent pas la rencontre. Car si nous nions l’autre, par mépris ou arrogance, l’autre crée le monde, sans nous.
Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé. (…) Un gagnant est juste un rêveur qui n'a jamais cédé. Nelson Mandela
En guise de conclusion : Articulations de sortie :
Prendre conscience de nos ombres et de nos lumières est une chose, saisir que le chaos actuel est, notamment, le résultat du choc de nos ombres niées et/ou non assumées, en est une autre et pour terminer sur une note positive, voyons comment articuler entre eux les niveaux de la Spirale Dynamique.
Ce qui pourrait se traduire par :
Rétablir un Bleu sain et actualisé qui encadre les virulences Rouges, poser des cadres clairs et objectables pour éviter les récupérations Oranges des innovations Vertes, des juristes pour protéger les créations des Communs, par exemple.
Une vision Verte portée avec un Jaune mature qui réussissent, ensemble, à asseoir les conditions d’existence de Vert puis Jaune en apportant des exemples tangibles, inspirants qui incitent à faire des efforts pour sortir des excès Orange et Rouge.
Identifier les exemples de niveau d’existence Jaune, les objectiver, les référencer pour donner des voies d’évolution désirables que les personnes et les collectifs puissent se mobiliser avec une feuille de route réaliste.
Reconnaître les besoins de chaque niveau d’existence pour apporter des réponses co-élaborées. Sortir des violences que les jugements de valeur sur autrui apportent. Reconnaître la puissance de nos ombres individuelles et collectives, sortir de la cécité et prendre à bras le corps la responsabilité d’une “thérapie sociale” (pas au sens de Charles Rojzman) mais sur la base des travaux de Justice Sociale (réparation pour les pays qui ont vécu des guerres et des génocides).
Apprendre la vision systémique de notre monde qui inclut une géopolitique lucide.
Créer la désidérabilité d’un futur pluriel et convergent. Ce qui signifie d’abord co-créer des imaginaires pluriels pour les co-construire en maturité et lucidité. Accepter la divergence, envisager de ne pas “gagner” et vouloir co-construire, ensemble, un futur désirable pour la majorité des personnes. Puis, ancrer cette élaboration des imaginaires pluriels sur des bases solides et inclusives pour qu’ils portent nos représentations du futur. Alors, le récit d’un nouveau paradigme pourra advenir et être le socle des valeurs de la nouvelle civilisation émergente.
“L’avenir tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre.” Antoine de Saint-Exupéry
Cet article sera mis à jour régulièrement pour aller plus loin et tenir compte des remarques.
Christine Marsan, 20 janvier 2025, MaJ 30 janvier, avril 2025.
Notes
[1] Désagrégation des institutions internationales accentuée par Donald Trump depuis son élection en 2025. https://www.ledevoir.com/monde/844198/donald-trump-liquide-ordre-international? ; https://www.jean-jaures.org/publication/limperative-necessite-de-changer-le-modele-de-financement-de-laide-humanitaire-internationale/
[2] Extrait de C. Marsan, Délicate Transition, Actal editions, 2017. https://www.acatl.fr/la-delicate-transition/
[3] Luc Boltanski, L’esprit du capitalisme, https://shs.cairn.info/revue-actuel-marx-2010-1-page-80?lang=fr
[4] Christopher Lash, La culture du narcissisme, Climats, 2000.
[5] Jean-Paul Gaillard, Enfants et adolescents en mutation, ESF, 2014.
[6] Le narcissisme pathologique conduit aux régressions psychologiques vers les stades archaïques du développement du sujet.
[7] Je salue l’intuition de Robert de Quelen sur ce point.
[8] Laurent Testot, Vortex, Faire face à l’Anthropocène, Payot, 2023.
[9] Exemple le fim Demain de Cyril Dion.
[10] Je me souviens de mon échange avec Pablo Servigne avant la parution de son ouvrage pour revisiter le titre « Comment tout peut s’effondrer » et ses autres ouvrages portant le titre « effondrement » et il m’avait répondu : l’éditeur pense que cela se vendra mieux. Et je lui disais que lorsque l’on a une influence on a aussi une responsabilité éthique. Mais l’Orange a prévalu : vendre et diffuser. Ce qui est une véritable question : comment porter un message au plus grand nombre ? Une trop grande rigueur éthique conduit à la diffusion confidentielle et ne permet pas d’avoir un impact significatif. Choisir un titre « marketing » entretient le système dont on tente de se départir. Voici le type de paradoxes que nous avons à résoudre.
[11] http://gap47.astrosurf.com/index.php/ressources/le-scandale-starlink/
[12] Guiliano Da Empoli, Les ingénieurs du chaos, Folio, 2023.
[13] https://christinemarsan.substack.com/p/la-spirale-dynamique-un-modele-pour?r=7avo9
[14] https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/proposition-de-loi-visant-a-sortir-la-france-du-piege-du-narcotrafic.html
(15] Retour du refoulé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retour_du_refoulé
(16] Muller J.-M., Dictionnaire de la non-violence, Sagesses, Le Relié Poche, Paris, 2005. C. Marsan, Choisir la paix, InterEditions, 2010.
Bravo, analyse et plan d'action convaincants ! Pour m'être impliqué dans ce type (partiellement) de démarche dans des milieux pro et associatifs (www.imwi.io), je vois bcp de challenges à relever pour avancer dans la voie proposée : la sélection et l'embarquement des membres du ou des collectifs impliqué(s) dans cette démarche, le "management" de ce ou ces collectifs, la tenue dans le temps de l'engagement et du rythme de l'avancée vers l'objectif.
Merci pour cette magnifique analyse.
Je me permets d’ajouter une contreverse.
En suivant la logique de modèle d’évolution des civilisations, je ne pense pas possible de passer du orange au vert puis au jaune.
Par ce que les valeurs et ombres de l’orange maintiennent l’égo dans la maîtrise du savoir parfaitement au profit de soi et du pillage. Qu’arriver avec cela dans le collectif vert protecteur me semble impossible tant que l’individu n’a pas nettoyé ses croyances et son authenticité par un retour à soi.
Je corrigerais le modèle : orange, jaune, vert, turquoise
Benedicte DECUYPERE